PETIT LEXIQUE BOTANIQUE DE LA RÉVOLUTION TUNISIENNE
PETIT LEXIQUE BOTANIQUE DE LA RÉVOLUTION TUNISIENNE
Londres, le 1er décembre 2012
On dit que la Tunisie est verte, féconde, prolifique, pays de l’abondance, de la fertilité et de la générosité. Comme cela doit être vrai, je m’exerce à faire un petit inventaire non-exhaustif de la flore qui y pousse et prolifère ces derniers temps. Un inventaire qui peut faire rire, ou qui peut faire pleurer, quelquefois les deux.
Je vous propose alors ce ‘Petit Lexique Botanique de la Révolution Tunisienne’.
Pour ce faire, comment ne pas commencer par un B,
B pour,
Bougarôun/ Coquelicot: Fleur dont les pétales sont d’un rouge écarlate. Ce même rouge est celui de la couleur des ‘larmes de sang’ qui coulent des yeux des jeunes Tunisiens de Siliana, chassés à la chevrotine. Ce même rouge sera la dernière couleur imprimée sur leurs rétines bousillées par les balles, pour toujours.
Yasmine/ Jasmin: Merveilleuse petite fleur à la senteur magique qui s’épanouit le soir, sur les fines branches d’un arbuste sous lequel Hédi Jouini a composé sa chanson mythique. Aussi, un vieux nom recyclé qui a été donné à une Révolution, indéniablement nouvelle.
Fell/ Jasmin de Tunisie: Petite fleur à la blancheur immaculée que de petits garçons aux mains noires vendent, en bouquets dits Machmoums, encore aujourd’hui, dans les feux de croisement des villes de Tunisie, quelquefois, jusqu’à quatre heures du matin, pour aider leurs familles.
Tbin/ Paille: Tiges séchées qui ont servi à nourrir les ‘intentions de votes’ des Tunisiens lors des premières élections tunisiennes libres, la veille de l’Aid El Kbir.
Hchich/ Herbe: Terme générique qui s’utilise, en général, suivi de « Legalise it »
Naa'nè'/ Menthe fraîche: Plante herbacée aromatique utilisée pour la préparation du thé vert. Herbe sans laquelle la totalité des cafés maures fermeraient leurs portes et 500 000 chômeurs se mettraient sérieusement à chercher du boulot.
Gazon/ Gazon: Herbe qui se cultive et s’entretient à grands frais et à grande eau dans les stades, les golfs, les jardins d’hôtels et les riches demeures de Tunisie. L’expression « C’est le gazon total » *(1) est une formule polie pour décrire une situation qui dégénère exponentiellement.
Maâdnouss/ Persil: Plante aux vertus thérapeutiques inégalées dont la vente dans les marchés pendant le mois de Ramadhan peut s’avérer extrêmement lucrative de nos jours. Exemple : Vous permettre de devenir ministre et permettre à votre fils d’être à la tête d’une chaîne de télévision.
Chaâbatta/ Lierre: Herbe folle et souvent indésirable qui développe instinctivement une avidité incontrôlable de monter et de s’accrocher en haut. Beaucoup d’espèces de ce type sont recensées en Tunisie.
Homs/Pois chiche: Légumineuse officielle des gargotes populaires et du palais présidentiel.
Foul/ Fève: Rien à signaler en Tunisie. Cf. « Lexique Botanique de la Révolution Égyptienne ».
Felfel/ Piment: Plante au goût piquant. Une teneur élevée en capsaïcine est plus que recommandée pour les cas de lenteur extrême (notamment, quand il s’agit d’écrire des constitutions, des textes de lois, ou à mettre en place des instances, des décisions de justice, etc.)
Batata / Pomme de terre: Légume qu’on nous ’casse’ depuis le jour de notre naissance.
Rand/ Laurier: Du latin Laurus Nobilis. Plante dont l’arôme transforme vos plats de pâtes du tout au tout. Se dit d’une herbe que l’on récolte sans l’avoir nécessairement cultivée, ni méritée, hélas.
Degla/ Datte: Fruit délicieux du palmier dattier qui pousse en régimes. Partie du titre d’un roman magnifique de Béchir Khraief *(2) qui décrit la misère des gens de la région du Djerid et que tout Tunisien qui se respecte devrait avoir lu.
Kakawiyya/ Cacahuète: Plante pouvant faire office de valeur d’échange des atouts économiques de la Tunisie sur le marché mondial. En anglais, peanuts !
Cheîir/ Orge: Céréale dont est extraite une boisson populaire qui se boit fraiche et sans modération, aucune. Autant le dire maintenant, toutes les tentatives de sa prohibition seront vouées à un échec certain.
Sfennariya/ Carotte: Légume que notre Cheikh Rached Ghannouchi utilise généralement avec un bâton pour communiquer avec ses amis.
Qraâ/ Citrouille: Ou, ce qu’une tranche non négligeable de Tunisiens pense de sa Révolution à ce jour.
Louz/Amande: Fruit qui murit dans une coque radicalement dure. Attention, celle-ci peut vous casser une dent. Elle pourrait même menacer de vous couper un bras ou une jambe, à l’occasion.
Ward/ Rose: Fleur qui était jadis utilisée par les amoureux pour exprimer leur passion ou pour coder un message venant du cœur. La rose est devenue l’ingrédient nécessaire au décor des tables de réunion ministérielles, des congrès, des meetings de partis politiques. Question : Ceci voudrait-il dire que ces hommes politiques nous aiment ?
Marguerite: Fleur qui n’a pas de nom en arabe. Elle est exclusivement réservée à Aytam França (Les orphelins de la France), tous ceux qui aiment la France ou que la France aime (un peu… beaucoup… passionnément…).
Nakhla/ Palmier dattier: Phoenix dactylifera. Arbre majestueux du Sud Tunisien qu’aucun parti politique n’a jugé bon à faire figurer en logo, au début (tout le monde lui ayant préféré l’olivier). Le palmier a fini par apparaître, par défaut.
Hindi/ Figue de barbarie: Fruit succulent, doux à l’intérieur et qui pique subtilement de l’extérieur. Il est l’emblème des ‘révolutionnaires’, les vrais, ceux qui craignent pour leur Révolution des doigts malintentionnés venant du passé, du présent, de l’intérieur, de l’extérieur, d’Orient, d’Occident…
A ne pas confondre avec,
Dhlaf al Hindi/ Raquette de cactus: Partie infructueuse et beaucoup plus piquante de la même plante. Cette partie constitue un excellent prétexte à sortir à l’ANC quand on veut détourner l’attention d’un sujet épineux. « Le peuple mange du cactus et nous, on parle de ça ?! »
Aa'cheb Toufayliyah/ Mauvaises herbes: Comme leur nom l’indique, ces herbes sont bien mauvaises. Mais ce que leur nom n’indique pas, c’est qu’elles poussent partout, partout, partout, sans jamais s’arrêter : gouvernement, justice, médias, administration, services, partis, associations, universités, lycées, écoles, mosquées, commerces, rues, plages... Partout.
Qamh/ Blé: “God bless Tunisia” (On ne rit pas de ces choses là).
Aneb/ Raisin: Fruit qui, une fois fermenté, plus personne ne sait s’il est celui de l’entrée ou de la sortie du paradis.
Tey Ahmar / Thé rouge: Herbe importée de Chine sans laquelle tous les chantiers de Tunisie se mettraient à avancer deux fois plus vite.
Qloub/ Graines de tournesol: Petites graines préférées de tout un peuple. Ces graines naissent de la fabuleuse histoire d’amour entre une plante et le soleil. Le tournesol mûr est phototrope : Il ne peut s’empêcher de tourner pour suivre le soleil, de son lever à son coucher. De cette danse, naissent les glibettes ou petits cœurs noirs de l’extérieur, blancs à l’intérieur. Un peu comme nos cœurs.*(3)
Zeitoun/ Olivier: Arbre béni, symbole de paix et de prospérité. Un seul vers du poète palestinien Mahmoud Darwich suffirait amplement pour en parler : «Ne faites pas tomber cette branche verte de ma main ! »
Mais encore,
Zeitoun/ Olive: Fruit béni de l’arbre béni. Se dit aussi d’un personnage qui ne craint rien, pas même les crocodiles. Au féminin, Zeitouna, se dit d’une banque, d’une chaîne de télévision, d’un parti politique, d’une association… louche. L’huile qui en est extraite peut être utilisée comme dernier argument qu’un ministre dédaigneux et arrogant utilise pour s’adresser à son adversaire politique.
Halfa/ Sparte: Arbuste tenace des steppes arides où la Révolution est née. Plante qui sert à fabriquer du papier. Se dit, en dialecte tunisien, d‘un état dormant mais guettant la situation de très près, en attendant le réveil.
Enfin, ma préférée,
Defla/ Laurier rose, Oléandre, Nérion, Lauraine: Beaucoup de mots pour signifier une même chose: Un arbuste de la famille des Apocynacées qui pousse sur les rives boueuses des oueds. Ses fleurs sont un mélange de rouge et de blanc, d’une beauté et d’une délicatesse rares. Mais son goût est amer, très amer, une amertume toxique, parfois mortelle, un peu comme cette Révolution.
Quoi qu’on en dise, bénie soit cette terre, ses arbres, ses fruits, ses légumes, ses graines, ses fleurs, ses herbes, ses hommes… et sa Révolution.
(1) Expression empruntée à Ziad Rahbani, auteur et compositeur libanais, de l’album Bima Innou.
(2) 'Eddigla Fi Araginha’, Régimes de dattes, Roman de Bechir Khraîef-1969,
(3) Comparaison empruntée à Taoufik Jebali, homme de théâtre tunisien, de la pièce Klem Ellil.
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