AU PAYS DES MERVEILLES



Au Pays des Merveilles

Londres, le 8 décembre 2012



Il y a ce que d’autres pays ont pu laisser de moi

Les rires de mes amis et mes rires d’enfant

Des quais pour accoster, des phares pour les perdus

Et des halls d’aérogares pour se dire au revoir



Il y a des hommes en colère

Il y a leur bruit de pas

Il y a des rêves brisés, des illusions perdues

Et des projets reportés pour une autre fois



Il y a du soleil et des vagues infatigables à perte de vue

Qui ne se lassent jamais

Il y a des champs de blé à perte de vue

Qui ne périssent jamais



Il y a la nostalgie d’un certain paysage

D’une certaine musique

D’une douce nuit d’été

Ou d’un certain regard



Il y a des hirondelles qui apportent le printemps

Et des poissons qui avalent d’autres petits poissons

Des chats qui rodent la nuit, quelques corbeaux qui croassent

Et il y a des moutons qui broutent silencieusement



Il y a aussi des barques qui embarquent la nuit

Vers d’autres rivages bien moins merveilleux

Il y a un même amour simple et compliqué

Tant de fois perdu tant de fois retrouvé



Au Pays des Merveilles, il y a certaines notions

D’une grande abstraction

Que l’on nomme Pays, Peuple, Liberté

Démocratie, Egalité des chances, Révolution



Mais il y a quelques notions

O combien concrètes

L’odeur du café un matin d’hiver

Le craquèlement d’une amande fraîche sous les dents



L’appel à la prière à la fin d’une nuit sans sommeil

La pause publicité sur la chaîne nationale

Un coup de matraque dans la colonne vertébrale

Le vacarme d’une fête qui ne finit jamais



Une compresse d’eau parfumée sur un front fiévreux

L’odeur d’un melon que l’on vient d’inciser

Un écran allumé dans une chambre obscure

Et une balle dans l’œil



C’est un petit pays

Que l’on porte avec soi sur les routes du monde

Quelquefois dans la poche, quelquefois dans les veines

Quelquefois sur le dos



De ce petit pays,

On peut sûrement partir

Mais il faut le savoir

On y laisse son cœur



Il y a dans ce pays

Comme dans d’autres pays

Des riches et des pauvres

Qui luttent sans arrêt



Et il y a encore l’écho des voix des dictateurs

Leurs premières paroles

Leurs derniers discours

Qui hantent le sommeil



Il y a aussi des murs

Qui attendent d’être abattus

Il y a aussi des ponts

Qui attendent d’être tendus



Au Pays des Merveilles,



Il y a des gens qui font semblant

De se haïr un peu, de s’en vouloir un peu

Ou de s’aimer un peu

Mais rien de très sérieux



Et il y a des hommes partis en prison

Pour avoir dit un mot

Et il y a d’autres hommes restés en prison

Pour ne l’avoir pas dit



Il y a des enfants

Qui ont les yeux si noirs

Qu’ils pourraient contenir seuls

Les horizons du monde



Il y a de l’encre et des plumes

A volonté pour chacun

Pour égayer des pages

Restées blanches trop longtemps



Il y a de l’espoir, assez pour en revendre

Et du désespoir, assez pour en mourir

Il y a une joie pour chaque, une fois pour chaque

Et rien pour tous ensembles



A moi, il y a encore les doigts de ma grand-mère

Qui passent dans mes cheveux

Son tapis de prière

Et quelques mots d’adieux



Il y a tout ce qu’il faut

Au Pays des Merveilles

Pour noyer son chagrin

Ou l’oublier un peu



Au Pays des merveilles

Y a eu des jours heureux

Y aura des jours heureux

Au diable tout le reste



Il est temps de vous dire

Qu’au Pays des Merveilles

Il y a très peu de merveilles

Ou presque pas du tout



Au Pays des Merveilles

Y aura quelques batailles

Torrides et sanglantes

Mais n’y aura pas la guerre,



Les guerres n’ont jamais lieu

Dans ce pays là

Personne ne sait les faire

Dans ce pays là



Il restera de nous

Au Pays des Merveilles

Nos quelques coups de rage

Et tous nos éclats de rire



Il restera de nous

Au Pays des Merveilles

Ce qui reste des hommes

Quand tout est oublié



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