CORONA AU PAYS DES MERVEILLES [17]
Tunis, le 28 Avril 2020,
Ce qui devait arriver arriva. On passe la première semaine de Ramadan sous couvre-feu. Pas de dîners en famille, pas de sorties nocturnes, pas de Médina, pas de concerts, pas de ballades après la rupture du jeûne.
Je ne pensais pas que cela pouvait arriver, ni être toléré, ici. J’avais tort. Même Monsieur fripouille de mon quartier, qui d’habitude ne craint ni police ni justice, a cessé d'arpenter les rues et les coins de rue, il a interdit à ses enfants de jouer dehors avant la l'appel à prière, il s'applique à bien se distancier, lui aussi. Et pour l’instant, il reste à la maison, un soir de Ramadan.
J’avoue que, pour moi, c’est une surprise. Il est frappant de constater que, dans cette partie du monde, l’attitude Invictus (sentiment d’être invincible face à toute chose de la vie) ne se vérifie pas.
J’avoue que, pour moi, c’est une surprise. Il est frappant de constater que, dans cette partie du monde, l’attitude Invictus (sentiment d’être invincible face à toute chose de la vie) ne se vérifie pas.
C’en est attendrissant. Il semblerait qu’il y ait une conscience commune et générale de notre propre vulnérabilité. Nous sommes fragiles et nous le savons, toutes générations confondues, toutes catégories sociales confondues. Très rares sont ceux qui ont pensé que rien ne pourrait les atteindre, quand le Corona est arrivé ici.
J’aimerais tant que quelqu’un le prouve ; mais je pense l’avoir perçu (non sans grande amertume). Un jeune Tunisien ne se sent pas invulnérable. Il ne se sent pas super-puissant et ne se comporte pas en conséquence, comme pourrait le faire un jeune (ou moins jeune) Européen ou Américain.
Peut-être est-ce un trait de société ? Peut-être même est-ce inné, ici, de se sentir inférieur à son destin? Peut-être est-ce le résultat de toutes ces blessures accumulées, des colonisations, des récessions, des dictatures, de chocs, de traumatisme en traumatisme, une plaie après l’autre sans qu’aucune n’ait eu le temps de vraiment cicatriser. Je me demande comment Jung, par exemple, qualifierait un tel trait. La conscience profonde et enracinée de ses propres limites. La conviction de sa propre incapacité face au sort. La chose qui fait que l’on reste à la maison, même un soir de Ramadan.
C’est probablement salvateur en temps d’épidémie de ne pas se sentir invincible. Oui, cela sauve des vies. Mais qu’en est-il hors épidémies ? Qu’en est-il de la pré-pandémie et de la post-épidémie ?
Peut-être est-ce un trait de société ? Peut-être même est-ce inné, ici, de se sentir inférieur à son destin? Peut-être est-ce le résultat de toutes ces blessures accumulées, des colonisations, des récessions, des dictatures, de chocs, de traumatisme en traumatisme, une plaie après l’autre sans qu’aucune n’ait eu le temps de vraiment cicatriser. Je me demande comment Jung, par exemple, qualifierait un tel trait. La conscience profonde et enracinée de ses propres limites. La conviction de sa propre incapacité face au sort. La chose qui fait que l’on reste à la maison, même un soir de Ramadan.
C’est probablement salvateur en temps d’épidémie de ne pas se sentir invincible. Oui, cela sauve des vies. Mais qu’en est-il hors épidémies ? Qu’en est-il de la pré-pandémie et de la post-épidémie ?
Ce soir, je voudrais tant, et seulement, qu’ici, chacun, tout le monde, ait le luxe et l’insolence (passagère) d’attraper une fois dans sa vie le syndrome Invictus… qui te fais sentir plus puissant qu’un virus !
Illustration: d'après Léonard de Vinci, Lion rugissant, Bayonne, musée Bonnat-Helleu
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