CORONA AU PAYS DES MERVEILLES (9)



Jeudi, le 2 avril 2020

A Tunis, jusque-là, tout va bien. J’en suis même à aimer le chef du gouvernement qui vient de terminer un débat télévisé digne d’un discours de chef de guerre seulement quelques secondes avant que je n’ouvre cette page blanche. C'est très probablement... inquiétant. Alors écrivons.

Peut-être que l’on saura glisser sur la vague, comme le sous-entendait le discours de ce soir. Peut-être. Qui sait ? Combien faut-il d’étoiles alignées, d’ancêtres saints-hommes et saintes-femmes, de divine clémence pour échapper à ce type de vagues ? Dieu seul sait. La vague a frappé très fort en France, ce soir. 1355 morts en 24 heures. Et si la vague a pu atteindre Paris (et ses citadelles d’hôpitaux) avec une telle violence, elle peut atteindre tout le monde.

Mais, moi aussi, je crois aux miracles. Et je n’y peux rien. C’est génétique.

Le tsunami ne semble épargner personne (du moins de ceux qui en train de publier leurs vrais chiffres). Ni ceux qui ont un système de santé, ni ceux qui n’en ont pas. Ni ceux qui prennent de la chloroquine, ni ceux qui n’en prennent pas. Ni ceux qui sont vaccinés contre la tuberculose, ni ceux qui ne le sont pas. Il y deux choses qui semblent avoir sauvé certains : Un confinement préventif et prolongé (en Chine), et le fait d’avoir une expérience de la chose et un plan prêt à dérouler (en Corée du Sud). Tout le reste n'est encore que... littérature.

Ce soir, Fakhfakh était en train d’acheter du temps, lui aussi. Mais ce n’était pas du temps de propagation de virus qu’il achetait. Il a acheté du temps social. C’est utile aussi, le temps social. Une dose de sédatif élégamment et habilement administrée, en attendant un autre miracle.

Rester reconnaissant. Garder le cap. Croire aux miracles.

Si on imagine un groupe de personnes sur une plage et une vague immense qui arrive vers eux. Elle avance, elle monte de plus en plus haut, elle s’approche de plus en plus du rivage. Eh bien, dans ce groupe, il y a des personnes qui se retrouveraient instinctivement, immédiatement, sans tarder, à planifier une sortie de crise ! Je trouve ceux-là admirables. Je n’arrive pas à en faire partie. Je crois qu’il faut un certain confort pour développer une telle réaction : ce n’est pas nécessairement d’un confort matériel qu’il s’agit. Je pense qu’il faut un confort intellectuel, affectif (d’esprit, en gros).

Il y a d’autres réactions possibles dans le groupe, plus ou moins extrêmes, plus ou moins alarmistes, plus ou moins fatalistes, plus ou moins fuyardes. Il y a les autruches qui se cachent, les requins qui en profitent, les fourmis qui s’organisent bien pour pouvoir faire-face, les cigales qui continuent de s’amuser (et font des visites virtuelles de musées !) Il faut de tout pour faire une plage qui attend son tsunami.

L’idée me désespère, mais je crois que dans le groupe de ces gens debout sur la plage, je fais partie de ceux qui ont besoin d’observer la vague, de la comprendre autant que mes neurones le permettent. Alors me voici, debout, seule, hébétée, minuscule face à l’immensité et l’extrême complexité de la chose. Mais je ne sais pas faire autrement. Je ne sais pas organiser une sortie de crise, mais je ne sais pas fuir non plus. J’ai juste besoin de voir (parce que c’est vital), de comprendre (parce qu’on a beaucoup moins peur de ce que l’on comprend) et de continuer de croire aux miracles (parce que... rien. C'est ainsi).  C'est désespérant de n’être que soi-même, en temps de crise.

Je pense aux amis de Paris. Demain, je les appelle.


Illustration: Katsushika Hokusai, La grande vague de Kanagawa, 1831, Reading Public Museum


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