CORONA AU PAYS DES MERVEILLES (3)

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CORONA AU PAYS DES MERVEILLES

Tunis, le jeudi 19 mars 2020

Hier et avant-hier, je n’ai rien écrit, du moins pas ici. Aujourd’hui, 39 cas positifs en Tunisie. La courbe de l’Italie n’a pas encore cédé. Elle le fera, un jour ou l'autre. Andrà tutto bene, Italia.

NE JAMAIS SOUS-ESTIMER L’ENNEMI

Je me dis que c’est peut-être celui-ci notre problème en tout d’ailleurs et depuis longtemps: C’est cette manie que l'on a de toujours sous-estimer l’ennemi. Le rendre risible. Le mythifier, en faire une abstraction, au lieu d’essayer de le comprendre.

Je ne sais plus exactement où j’ai appris ceci, mais j’ai l’impression de bien connaitre la règle. Peut-être en construisant des maisons. On ne peut pas construire une maison en sous-estimant le vent, l’eau de pluie, l’eau des inondations, l’effet de serre, le bruit, les faiblesses des matériaux, leur manières des vieillir, la laideur, la vulgarité, la fadasserie et tous les autres ennemis des architectes. Ris d’un seul d’entre ceux-là et ton bâtiment est… cuit.

Mon frère m’a rapporté aujourd’hui qu’un virologue allemand qui est passé à la télé pour parler du corona avait tellement étudié les virus, et pendant tellement longtemps, qu’il avait l'air de les personnifier. Le scientifique parlait du corona comme son égal, comme son adversaire de duel. 

Bien-sûr, il y a les connaissances classiques (qui est-ce?) la forme, la taille, la durée de vie et je ne sais quels autres génomes de la bête. Puis il y a le fonctionnement (le comment?): une couronne qui l’aide à racler, puis creuser, les tissus vivants et s'y installer. Mais il y avait aussi dans son discours -mon frère me dit- la psychologie du virus, ses désirs, ses craintes ses instincts (le pourquoi, en quelque sorte).

 Il y a dans cette approche quelque chose de sain: essayer de comprendre, essayer de se rapprocher le plus possible de la réalité de cet ennemi. Arrêter d'en dire qu'il dire qu'il est invisible, puisqu'il on l'a vu. Se demander ce que cherche cet être venu partager la planète (et nos propres poumons) avec nous? Ou, ne pas partager, justement.

Il parait que c’est un virus qui veut –très avidement- vivre, lui aussi. Et très avidement voyager, lui aussi. Et il a trouvé, en nous-autres, humains un bon moyen de transport, meilleur que la chauve-souris, il parait (ce qui peut se comprendre). Le chercheur allemand pense d'ailleurs que ce virus hégémonique doit être très frustré quand on le bloque, comme nous. Il dit aussi qu'en se moment il doit se demander ce qui lui arrive en Chine, par exemple... 

Ce n'est ni émission pour enfants ni un show humoristique, c'est un scientifique qui parlait ainsi de son sujet qui se trouve être notre ennemi commun. Tout savoir sur l’ennemi. Ne pas le mortifier. Ne pas en faire en fatalité. Ne pas en faire une construction mentale. Comprendre: Comment il vit ? Comment il meure ? Comment il s'affaiblit? Comment il se comporte sur une peau, un tissu, dans l’air, dans l’eau, sur une surface, dans un mouchoir en papier? Pourquoi est-il là? Puis, que veut-il de nous, exactement ? Que veut-il pour lui-même ? Peut-on co-exister ou est-ce la guerre? Know your enemi.

*  Ici, à Tunis, notre nouvelle classe politique a été formée à coup de coaching en behavioural approches. Ils nous infantilisent, ils (y compris KS, ou peut-être surtout KS) délivrent des informations dosées, ils jaugent notre comportement, agissent ou réagissent en conséquence. Les médias, dans leur plus grande majorité, suivent. J’avoue que c’est bien fichu, mais c’est frustrant.  Pour ma part, j’ai expliqué à mes enfants, et tout mon entourage tout ce que j’ai pu comprendre de la situation, dans les moindres détails.  Je hais l’infantilisation et je hais qu’on m’infantilise. Pourquoi ne nous disent-ils pas que c’est loin d’être une affaire de deux semaines alors qu'ils le savent, par exemple? Peut-être que -comme tout le monde- au fond d'eux, ils attendent un miracle.

Je dois avouer qu'au plus profond de moi-même, l’idée que ce miracle puisse avoir lieu ne m'a jamais quittée, moi non plus. J'essaye de la dompter. Dompter l'optimisme. 

* Aujourd’hui, j’ai dû aller au bureau pour un court moment. Dans l’immeuble, certains ont fermé ; d’autres donnent à leurs employés le choix entre la présence obligatoire ou un congé non payé. Les agents de nettoyage et de gardiennage sont déjà, en moins de quatre jours, à court de cash... Ouvrir et les forcer à venir en transports en commun est criminel; fermer sans payer est criminel aussi. C’est la peste… ou le corona.

* Chose la plus drôle de ma journée : j’ai vu une connaissance de ma mère, je l’ai saluée de loin, elle m'a vivement saluée de loi et s’est échappée en accélérant le pas et en continuant d'envoyer les salutations à toute la famille, en effet Doppler, sans même me regarder.  Le social-distancing commence à divaguer, on dirait

A ce stade, je suis convaincue que rien ne sera plus comment avant.
Il faut juste survivre pour voir à quoi ressemblera la suite… Peut-être est-ce maintenant notre chance inouïe de nous réconcilier avec cette terre sur laquelle nous étions des passagers sales, arrogants, et cupides… Peut-être que de cette réconciliation, des maux que l’on pensait irrémédiables pourront guérir. Qui sait?  

* The cure for the pain is in the pain. Rumi



Illustration: Jean-François Millet, Les glaneuses, 1857, Musée d'Orsay, Paris.






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