CORONA AU PAYS DES MERVEILLES [6]


Tunis, le jeudi 26 mars 2020

Note au lecteur:Tenir un journal de bord veut dire –par définition- refuser de se relire. Merci de votre indulgence.


Dialogue avec Nour

[Aujourd’hui, en regardant de la fenêtre un arbre dont le feuillage se faisait violemment secouer par le vent]

-  Maman, est-ce que les arbres peuvent attraper le Corona ?
- C’est très improbable.
- Quelle chance ! Est-ce que tu crois que les arbres sont au courant qu’il y a un problème de Corona en ce moment?
- Qui sait à quoi peuvent bien penser les arbres, Nour ? En général, je crois qu’un arbre sait très bien quand il respire mieux, quand il est bien arrosé, bien nourri, bien ensoleillé… le reste, je ne sais pas.
- Tu crois qu’il reste une seule personne sur terre qui ne sache pas qu’il y a un virus qui circule, parmi les humains, je veux dire?
- Je ne sais pas trop, c’est possible.
- Je te dis qui ne sait pas : Un, les bébés (parce qu’il ne connaissent même pas le mot, corona). Deux, les gens qui sont dans le coma, ou ceux qui ont Alzheimer. Trois, les gens qui n’ont pas de télévision, pas de radio, pas d’internet… Eux, je suis sure qu’ils continuent à se balader tranquillement… S’ils ne savent pas, le virus n’existe pas pour eux…
- Oui… jusqu’au jour où ils l’attrapent !

Se balader tranquillement... Ma fille envie les arbres parce qu'ils sont dehors. Et elle envie ceux qui ne savent pas. Au bout de deux semaines d’école avec sa mère (c'est à dire moi-même), on fait l’éloge de l'ignorance. Ce n’est pas glorieux. C'est thérapeutique.

Le virus, c’est nous !

Al, ma grande fille, quant à elle, est persuadée que le virus, c’est nous.  Elle a entendu la métaphore quelque part. Depuis, elle en a fait une doctrine. Elle observe les baisses de pollution dans le monde tous les jours, quand les autres regardent les chiffres du virus.  Al surfe dans la quarantaine comme un poisson dans l'eau. C'est son milieu naturel! Je suis impressionnée.  

Aujourd’hui, elle nous a dit : « Vivement le weekend ! ». 
On a failli s’évanouir.

C’est mathématique

Aujourd’hui, j’ai écouté la vidéo d’un médecin français qui dit : « On ne peut rien faire, c’est mathématique ». Ce que fait ce virus de plus vicieux –en plus de ce qu’il fait de dramatique- c’est qu’il nous démunit de toute visibilité pendant 14 jours, et nous laisse avec des pronostics. Pour ceux qui ne testent pas, les quatorze jours en font 21, en réalité (C'est la période après laquelle les malades ont besoin de soins hospitaliers, et ils sont dévoilés!). 

Depuis la leçon italienne, tous les peuples attendent les résultats des décisions que leurs gouvernants ont prises (ou pas) il y a 14/21 jours. Aujourd’hui, ici, on flotte quelque part dans ces 21 jours. 
Et on prie.

Vocabulaire 

Voici la nouvelle expression du moment : Culture Corona, baby ! 
La bête a généré une culture, s’il vous plait. Il parait que la dite culture est un mode de vie qui est déjà en place depuis des années dans des pays comme le Japon, la Corée du Sud, Singapour, Hong Kong... Elle est apparue avec l'apparition d'autres membres de la famille Covid... Cette culture induit une distanciation sociale cordiale, le port du masque dans les lieux publics, une conscience constante d'un potentiel contagion en toutes circonstances et d’autres choses que j’éviterai ici de nommer hygiène pour ne pas insulter les autres. La culture corona, c’est aussi une culture de gouvernance qui consiste à se tenir prêt, à avoir des stratégies de crise prêtes à être déroulée, et deal les déclencher le temps venu.  Un peu, comme d'autres pays ont des plans ouragans, séisme.. Et un peu comme ici, on a un plan Ramadan!

Home-schooling 

Le plus je dis à mes enfants que leurs devoirs ne sont pas d’une importance capitale, le plus elles s’y accrochent. C’est une réelle surprise ! Ma stratégie marche, je continue.

Choses et autres

Aujourd’hui, j’ai regretté de ne jamais avoir appris à coudre à la machine. J’aurais participé –moi aussi- à la campagne des couturières bénévoles qui sont en train de préparer des habits de guerre pour le personnel hospitalier. Ecouter une vidéo de l’une d’elles parler m’a donné les larmes aux yeux.

Un groupe de jeunes étudiants en architecture est -en ce moment même, en plein couvre feu- en train de sillonner la ville pour distribuer des rouleaux de tissu microfibres et des patrons aux couturières pour qu’elles en fassent des blouses. C’est admirable. Des membres de notre groupe de voisins confinés ont participé à l’achat de tissu, comme cela, sans poser de questions, et sans s'en poser. Cela fait chaud aux cœurs (de ceux qui ne savent pas coudre, notamment).

A quoi sert un confiné ? Acheter du temps. Aplatir des courbes. Bloquer l’hégémonie d’une créature microscopique voyageuse. C’est tout, en réalité; pas glorieux. 
Mais peut-être, peut-être, peut-être qu'un confiné pourrait servir à... préparer... l’après…


Illustration: Vincent Van Gogh, Oliveraie,1889, Kröller-Müller Museum, Otterlo, Pays-Bas

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